sábado, 15 de setembro de 2018

sexta-feira, 14 de setembro de 2018

Advogado de Confiança

Um chefão da Máfia descobriu que seu contador havia desviado dez milhões de dólares do caixa.
O contador era surdo-mudo, por isto fora admitido, pois nada poderia ouvir e em caso de um eventual processo, não poderia depor como testemunha.
Quando o chefão foi dar um arrocho nele sobre os US$10 milhões, levou
junto sua advogada, que sabia a linguagem de sinais dos surdos-mudos.
O chefão perguntou ao contador:

- Onde estão os U$10 milhões que você levou?

A advogada, usando a linguagem dos sinais, transmitiu a pergunta ao
contador que logo respondeu (em sinais):
- Eu não sei do que vocês estão falando.

A advogada traduziu para o chefão:
- Ele disse não saber do que se trata.

O mafioso sacou uma pistola 45 e encostou-a na testa do contador, gritando:
- Pergunte a ele de novo!

A advogada, sinalizando, disse ao infeliz:
- Ele vai te matar se você não contar onde está o dinheiro!

O contador sinalizou em resposta:
- OK, vocês venceram, o dinheiro está numa valise marrom de couro, que está enterrada no quintal da casa de meu primo Enzo, no nº 400, da Rua 26, quadra 8, no bairro Santa Marta!

O mafioso perguntou para advogada:
- O que ele disse?

A advogada respondeu:
- Ele disse que não tem medo de Viado e que você não é macho o bastante para puxar o gatilho!!!

Não se espante com essa história. Confie sempre no seu advogado.

quinta-feira, 13 de setembro de 2018

sexta-feira, 7 de setembro de 2018

Célebres Atentados

Loucos são facilmente manipulados. Ao longo da história eles foram utilizados de maneira conveniente por políticos mal intencionados.

terça-feira, 26 de junho de 2018

Le chat brésilien (The Brazilian Cat) Arthur Conan Doyle

Le chat brésilien

(The Brazilian Cat)

Il est bien pénible pour un jeune homme de posséder des goûts de luxe, de grandes espérances, des aristocraties dans sa famille, mais de ne pas avoir un sou en poche ni de métier lui permettant de gagner de l’argent. Or mon père, brave homme insouciant, avait une telle confiance dans la richesse et la bienveillance de Lord Southerton, son frère aîné (qui était célibataire), qu’il s’était mis dans la tête que moi, son fils unique, je n’aurais jamais besoin de travailler pour vivre. Il s’était imaginé qu’à défaut d’une vacance pour moi dans les conseils d’administration des affaires Southerton il me serait offert un poste dans les services diplomatiques qui demeurent encore l’apanage de nos classes privilégiées. Il mourut trop tôt pour mesurer toute l’inexactitude de ses calculs. Ni mon oncle ni l’État ne se soucièrent de moi le moins du monde. De temps à autre une paire de faisans ou un panier de lièvres, voilà tout ce qui me parvenait pour me rappeler que j’hériterais d’Otwell House, l’un des plus riches domaines de l’Angleterre. J’étais célibataire, j’habitais Londres, j’occupais un appartement dans Grosvenor Mansions, et je passais mes journées au tir au pigeon et au polo de Hurlingham. De mois en mois, mes difficultés financières s’accumulaient. La ruine me guettait ; chaque jour elle se dessinait plus claire et plus nette ; elle s’annonçait absolument inévitable.

Je ressentais d’autant plus ma pauvreté que, sans parler de l’immense richesse de Lord Southerton, l’aisance régnait dans toute ma famille. Après mon oncle, mon plus proche parent était Edward King, neveu de mon père et cousin germain à moi, qui avait mené une vie aventureuse au Brésil et qui venait de regagner l’Angleterre pour jouir de sa fortune. Nous n’avions jamais su comment il avait gagné son argent, mais il devait en avoir beaucoup, car il acheta dès son arrivée la propriété des Greylands, près de Clipton-on-the-Marsh, dans le Suffolk. Pendant sa première année en Angleterre, il ne s’intéressa pas à moi davantage que mon pingre d’oncle ; et puis, un certain matin d’été, je reçus une lettre me demandant de descendre le jour même à Greylands Court pour un petit séjour. Comme je prévoyais ma prochaine banqueroute, cette invitation me parut l’œuvre de la Providence en personne. Si seulement je nouais de bonnes relations avec ce cousin inconnu, je lui soutirerais bien quelque chose : pour l’honneur de la famille, il ne me laisserait pas tomber. J’ordonnai donc à mon valet de chambre de préparer ma valise, et je partis dans l’après-midi pour Clipton-on-the-Marsh.

Après avoir changé à Ipswich pour prendre un petit train d’intérêt local, je descendis à une gare minuscule, déserte, située au milieu de pâturages accidentés, avec une rivière paresseuse qui serpentait dans un dédale de vallées entre des berges hautes et enduites de vase : la marée faisait sentir ses effets jusque-là. Aucune voiture ne m’attendait (je découvris ultérieurement que mon télégramme avait été retardé). J’en louai donc une à l’auberge de l’endroit. Sur la route, le cocher, un brave type, ne cessa de me chanter les louanges de mon cousin ; et j’appris ainsi que Monsieur Edward King était déjà devenu une puissance dans le pays ; il avait organisé une fête pour les enfants des écoles, ouvert son domaine aux visiteurs, versé de l’argent aux œuvres de charité… Bref, mon cocher ne s’expliquait sa générosité universelle que par l’hypothèse qu’il voulait être élu député.

Mon attention se trouva détournée de ce panégyrique par l’apparition d’un très bel oiseau qui s’était perché sur un poteau télégraphique à côté de la route. Au premier coup d’œil, je crus que c’était un geai ; mais il était plus gros, et son plumage plus clair. Le cocher m’expliqua qu’il appartenait à mon cousin dont une manie était l’acclimatation d’animaux étrangers : il avait ramené du Brésil des oiseaux et diverses bêtes qu’il s’efforçait d’élever en Angleterre. Une fois franchies les grilles de Greylands Park, je pus constater que le cocher ne m’avait pas menti. Des cerfs de petite taille, un bizarre porc sauvage qui s’appelle, je crois, pécari, un loriot au plumage magnifique, un animal de la famille des tatous, et une sorte de très gros blaireau daignèrent se montrer pendant que nous roulions sur l’allée.

Monsieur Edward King se tenait sur le perron, car il nous avait aperçus de loin et il avait deviné qui j’étais. Il avait l’air aimable, bienveillant ; trapu et robuste, il devait avoir quarante-cinq ans ; sa bonne tête ronde, brûlée par le soleil des tropiques, était sillonnée de mille petites rides. À la manière des planteurs il portait un costume de toile blanche. Avec son cigare entre les dents et ce grand panama rejeté en arrière, il aurait été plus à sa place devant un bungalow à véranda que devant cette large maison anglaise datant des George.

– Ma chérie ! s’écria-t-il en se retournant. Voici notre hôte ! Soyez le très-bienvenu aux Greylands, cousin Marshall ! Je suis ravi de faire votre connaissance, et je considère comme un grand compliment que vous honoriez de votre présence cette petite campagne somnolente.

La chaleur de son accueil me mit immédiatement à l’aise. Mais toute cette cordialité n’était pas de trop pour compenser la froideur, je dirai même l’impolitesse que m’opposa sa femme. Grande et décharnée, elle était, je crois, d’origine brésilienne, bien qu’elle parlât excellemment l’anglais. Tout d’abord j’attribuai son attitude à son ignorance de nos mœurs. Elle n’essayait vraiment pas de me dissimuler que ma présence à Greylands Court ne lui plaisait nullement ; son langage était toujours courtois ; mais elle possédait une paire d’yeux noirs particulièrement expressifs, où je ne tardai pas à lire qu’elle souhaitait de tout son cœur que je repartisse pour Londres le plus tôt possible.

Cependant mes dettes étaient trop pressantes, et trop importants les projets que j’avais échafaudés sur la générosité de ce riche cousin, pour que le mauvais caractère de Madame King modifiât mes plans. Je fis semblant de ne pas avoir remarqué sa froideur, et, m’adressant au mari, je répondis par une cordialité égale à la sienne. Il n’avait rien épargné pour mon confort. Ma chambre était charmante. Il me supplia de lui indiquer tout ce qui pourrait ajouter à mon agrément. Je lui aurais bien répliqué qu’un chèque en blanc comblerait mes désirs, mais ma franchise aurait sans doute été un peu prématurée, puisque nous venions de faire connaissance. Le dîner fut excellent. Nous nous assîmes ensuite ensemble pour fumer un havane et boire un café ; l’un et l’autre provenaient, me dit-il, de ses plantations. Vraiment, tous les éloges de mon cocher me semblaient justifiés : jamais je n’avais rencontré d’homme plus hospitalier.

Son grand cœur et son amabilité naturelle ne l’empêchaient pourtant pas d’avoir de la volonté et un tempérament fougueux. J’en eus un exemple dès le lendemain matin. La bizarre aversion de Madame Edward King prit au petit déjeuner des proportions presque offensantes. Dès que son mari eut quitté la salle à manger, elle ne se contint plus.

– Le meilleur train de jour part à midi quinze, me dit-elle.

– Mais je ne pensais pas partir aujourd’hui ! répondis-je en toute sincérité.

Sincérité à laquelle s’ajoutait un soupçon de défi, car j’étais bien résolu à ne pas me laisser mettre à la porte par cette femme.

– Oh, puisque c’est vous qui décidez…

Elle s’interrompit ; l’insolence étincelait dans son regard.

– Je suis sûr, répondis-je, que Monsieur Edward King me préviendrait si je lassais l’amabilité de mes hôtes.

– Quoi ? Comment ? fit une voix.

Il était revenu dans la salle à manger. Il avait surpris mes derniers mots ; un coup d’œil lui suffit pour deviner le reste. Instantanément sa figure poupine, gaie, devint féroce.

– Puis-je vous demander d’aller faire un petit tour dehors, Marshall ?

(J’ai oublié de préciser que je m’appelle Marshall King).

Il ferma la porte derrière moi ; puis je l’entendis parler à voix basse, mais sur un ton de passion concentrée, à sa femme. Cette grave entorse aux lois de l’hospitalité l’avait évidemment touché au point sensible. Comme je n’ai pas pour habitude d’écouter aux portes, je sortis dans le jardin. Peu après, j’entendis quelqu’un courir dans ma direction : c’était Madame Edward King, toute pâle, les yeux rougis par les larmes.

– Mon mari m’a demandé de vous présenter mes excuses, Monsieur Marshall King, me dit-elle en baissant la tête.

– Je vous en prie, Madame King, n’ajoutez pas un mot !

Soudain ses yeux noirs s’embrasèrent.

– Espèce d’idiot ! siffla-t-elle entre ses dents.

Pivotant sur ses talons, elle rentra chez elle.

L’offense était si outrageante, si brutale, que je demeurai pétrifié. Je n’avais pas bougé de place quand mon hôte me rejoignit. Il était redevenu jovial.

– J’espère que ma femme s’est excusée de ses propos stupides ? me dit-il.

– Oh oui !… oui, bien entendu !

Il me saisit par le bras et nous fîmes les cent pas sur la pelouse.

– Il ne faut pas que vous preniez cela au sérieux, insista-t-il. Je serais désolé au-delà de toute expression si vous écourtiez d’une heure votre séjour. Le fait est (il n’y a aucune raison pour que nous jouions à cache-cache entre parents) que ma pauvre chère femme est incroyablement jalouse. Elle déteste que quelqu’un, homme ou femme, s’interpose l’espace d’un instant entre nous. Son idéal serait un tête-à-tête éternel dans une île déserte. Voilà qui vous explique certaines réactions qui sont, je l’avoue, assez proches de la folie. Promettez-moi que vous n’y penserez plus !

– Entendu. Je n’y penserai plus.

– Alors, allumez ce cigare ; je vais vous montrer ma petite ménagerie.

Toute la matinée fut consacrée à cette visite ; il me présenta ses oiseaux, ses animaux et même des serpents qu’il avait importés. Les uns étaient en liberté, d’autres en cage, quelques-uns dans la maison. Il me parla avec enthousiasme de ses succès et de ses échecs, de ses mises bas et de ses décès ; c’est tout juste s’il ne criait pas de joie comme un écolier quand à notre approche un oiseau éclatant prenait son vol ou quand une bête bizarre débouchait. Finalement il m’emmena dans un long couloir qui prolongeait une aile de la maison et qui se terminait sur une lourde porte munie d’un volet à glissière ; à côté de la porte une manivelle en fer reliée à une roue et à un tambour de treuil sortait du mur. Une rangée de barreaux solides traversait le couloir.

– Je vais vous montrer le joyau de ma collection, me dit-il. Il n’y en a qu’un autre spécimen en Europe, maintenant que le petit de Rotterdam est mort. C’est un chat brésilien.

– En quoi diffère-t-il d’un autre chat ?

– Vous allez voir, me répondit-il en riant. Voudriez-vous faire glisser le guichet et regarder à l’intérieur ?

J’obéis. J’avais vue sur une grande salle nue, dallée, qui avait de petites fenêtres à barreaux sur le mur d’en face. Au milieu de cette salle, une grosse bête de la taille d’un tigre, mais noire et luisante comme de l’ébène, était couchée dans un rayon de soleil. C’était tout simplement un chat gigantesque et très bien soigné. Pelotonné sur lui-même, il se chauffait béatement comme n’importe quel chat. Il était si gracieux, si musclé, et si gentiment, si paisiblement diabolique que je demeurai au guichet un bon moment à le contempler.

– N’est-il pas splendide ? me demanda mon hôte avec enthousiasme.

– Magnifique ! Je n’ai jamais vu un plus bel animal.

– On l’appelle parfois un puma noir, mais en réalité il n’est pas un puma. De la tête à la queue il mesure trois mètres cinquante. Il y a quatre ans, il n’était qu’une petite boule de poils noirs d’où émergeaient deux yeux jaunes. On me l’a vendu tout de suite après sa naissance dans une région sauvage située près des sources du Rio Negro. Sa mère avait été abattue à coups de lance parce qu’elle avait tué une douzaine d’indigènes.

– Ce sont donc des bêtes féroces ?

– Les plus sanguinaires et les plus traîtres des animaux vivant sur cette terre ! Parlez d’un chat brésilien à un Indien des hauts plateaux, et vous le verrez sursauter… Les chats brésiliens préfèrent l’homme à n’importe quel gibier. Celui-ci n’a pas encore goûté au sang d’un être vivant ; mais le jour où il y goûtera, il deviendra une terreur. Actuellement il ne supporte personne d’autre que moi dans sa cage. Même Baldwin, le groom, n’ose pas l’approcher. Mais moi, je suis à la fois son père et sa mère…

Tout en parlant il ouvrit brusquement la porte, à mon grand étonnement, et il se glissa à l’intérieur après l’avoir aussitôt refermée derrière lui. Au son de sa voix, le gros animal souple se leva, bailla, et alla frotter affectueusement sa tête ronde et noire contre la taille de son maître qui lui rendit ses caresses.

– … Maintenant, Tommy, en cage !…

Le chat monstrueux se dirigea vers un côté de la pièce et se rencoigna sous un grillage. Edward King sortit, et commença à tourner la manivelle de fer dont j’ai parlé. La rangée de barreaux du couloir se mit alors en mouvement et glissa à travers une fente dans le mur pour fermer le devant du grillage. Quand cette cage mobile se trouva fermée, il rouvrit la porte et m’invita à entrer dans la pièce où l’atmosphère lourde était imprégnée de l’odeur âcre particulière aux grands carnivores.

– … Voilà comment nous opérons, me dit-il. Nous lui laissons l’usage de la pièce pour qu’il prenne de l’exercice, mais le soir nous l’enfermons dans sa cage. Nous pouvons le faire sortir en tournant la manivelle du couloir, ou bien nous pouvons, comme vous l’avez vu, le cloîtrer de la même façon. Non, non, ne faites pas cela !…

J’avais passé ma main entre les barreaux pour caresser le flanc lustré de la bête. Il la tira en arrière.

–… Je vous assure qu’il faut se méfier. Ne vous imaginez pas que, parce que j’ai pris certaines libertés avec lui, n’importe qui peut se permettre des familiarités. Il est très exclusif dans le choix de ses amis, n’est-ce pas, Tommy ? Ah, il entend son repas qui arrive ! Hein, mon garçon ?…

Un pas résonnait dans le couloir dallé ; le chat brésilien s’était levé d’un bond ; les yeux jaunes étincelants, la langue rouge passant et repassant sur ses dents blanches et acérées, il se mit à arpenter sa cage étroite. Un groom entra avec un quartier de viande sur un plateau et le lui lança à travers les barreaux. L’animal le saisit au vol dans sa gueule et l’emporta dans un coin ; là, le maintenant entre ses griffes, il le déchira et le lacéra, non sans lever de temps à autre son museau plein de sang pour nous regarder. C’était un spectacle pervers, mais fascinant.

– … Vous ne vous étonnez plus que je l’aime beaucoup, n’est-ce pas ? me dit mon cousin quand nous quittâmes la pièce. C’est moi qui l’ai élevé. Le ramener du centre de l’Amérique du Sud n’a pas été une petite affaire ! Mais enfin, le voilà bien portant, robuste : je vous l’ai dit, le plus beau spécimen de l’Europe ! Au Zoo, on meurt d’envie de me l’acheter, mais réellement je n’ai pas le cœur de m’en séparer. Voyons, je crois que je vous ai suffisamment ennuyé avec mes manies ; nous ferions mieux d’imiter Tommy, et d’aller déjeuner.

Mon parent d’Amérique du Sud était si absorbé par son domaine et ses étranges locataires, que je ne pensais pas qu’il pût s’intéresser à autre chose. Je fus bientôt détrompé : il recevait de nombreux télégrammes, ce qui signifiait clairement qu’il avait d’autres intérêts, et des intérêts pressants. Les télégrammes arrivaient à n’importe quelle heure ; c’était toujours lui qui les ouvrait, et il les déchiffrait avec avidité. Ses affaires relevaient-elles du turf, de la Bourse ? Elles n’avaient en tout cas aucun rapport avec les Downs du Sussex. Pendant les six jours que je passai aux Greylands, il ne reçut jamais moins de trois ou quatre dépêches par jour ; le plus souvent c’était sept ou huit.

J’avais si bien manœuvré pendant ces six journées que mes rapports avec mon cousin étaient devenus extrêmement cordiaux. Chaque soir, nous avions veillé tard dans la salle de billard, et il m’avait conté les plus extraordinaires de ses aventures en Amérique : ses histoires étaient si horribles, si épouvantables, il les disait avec une telle insouciance que j’avais du mal à m’imaginer que leur héros était le petit homme joufflu qui était assis à côté de moi. En échange j’avais tiré de mes souvenirs diverses anecdotes sur la vie londonienne ; elles l’avaient tellement intéressé qu’il m’avait juré qu’il viendrait me voir à Londres et qu’il logerait à Grosvenor Mansions chez moi. Il avait très envie d’être introduit dans le monde des viveurs de la capitale ; à quel guide plus compétent aurait-il pu s’adresser ? J’attendis néanmoins le dernier jour pour aborder le sujet qui me tenait à cœur. Je le mis franchement au courant de mes ennuis financiers et de la ruine qui me guettait ; après quoi, je lui demandai son avis, en espérant quelque chose de plus concret. Il m’écouta en tirant véhémentement sur son cigare.

– Mais voyons, me dit-il, vous êtes bien l’héritier de notre parent, Lord Southerton ?

– J’ai tout lieu de le croire, mais il ne m’a jamais versé un sou.

– J’ai entendu parler de son avarice. Mon pauvre Marshall, vous êtes dans de vilains draps ! À propos, avez-vous des nouvelles récentes de la santé de Lord Southerton ?

– Depuis ma plus tendre enfance, il a toujours été plus ou moins malade.

– Exactement. Votre héritage peut tarder longtemps encore. Mon Dieu, mais votre situation est ridicule !

– J’avais espéré, Monsieur, que, connaissant les faits, vous pourriez être enclin à m’avancer…

– N’ajoutez rien, mon cher garçon ! s’écria-t-il avec chaleur. Nous en reparlerons ce soir, et je vous donne ma parole que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir !

Je n’étais pas mécontent de voir mon séjour tirer à sa fin, car rien n’est plus désagréable que de se sentir importun auprès de la maîtresse de la maison. La figure jaunâtre et les yeux réfrigérants de Madame King m’étaient devenus de plus en plus haïssables. Elle n’était plus ouvertement impolie : elle avait trop peur de son mari pour risquer une offensive. Mais elle poussait sa stupide jalousie au point de m’ignorer : jamais elle ne m’adressait la parole ; et elle s’ingéniait à rendre mon séjour aux Greylands le plus déplaisant possible. Au cours de mon dernier jour, notamment, elle adopta une attitude si offensante que je serais parti sur-le-champ, si je n’avais pas espéré beaucoup de l’entrevue que je devais avoir dans la soirée.

Cette entrevue eut lieu très tard. Mon cousin avait reçu dans la journée plus de télégrammes que de coutume, et il s’était enfermé dans son bureau après dîner ; il n’en était sorti que lorsque la maisonnée était allée se coucher. Je l’entendis faire le tour de la maison pour verrouiller les portes, comme il en avait l’habitude ; finalement, drapé dans une robe de chambre et chaussé de mules rouges, il vint me rejoindre dans la salle de billard. Il se laissa tomber sur un fauteuil et se versa un whisky à l’eau gazeuse : je ne pus faire autrement que remarquer que le whisky prédominait largement.

– Ma parole ! soupira-t-il. Quelle nuit !…

C’était vrai. Le vent hurlait, gémissait tout autour de la maison ; les fenêtres craquaient et grinçaient comme si elles allaient être forcées. La clarté des lampes et le parfum de nos cigares créaient une ambiance d’autant plus agréable.

– … À présent, mon garçon, reprit mon hôte, la maison et la nuit sont à nous. Voulez-vous m’indiquer exactement l’état de vos affaires ? Je verrai comment agir pour les remettre en ordre. Donnez-moi tous les détails.

Ainsi encouragé, je me lançai dans un copieux exposé où figuraient tous mes fournisseurs et mes créanciers, depuis mon propriétaire jusqu’à mon valet de chambre. Je lui dressai un bilan qui, je m’en flatte, était un modèle du genre. Mais je fus un peu déconcerté en constatant que mon compagnon avait le regard vide de quelqu’un dont l’attention se porte ailleurs. Chaque fois qu’il m’interrompait, c’était pour une observation superficielle qui ne rimait à rien ; j’étais sûr qu’il n’avait nullement suivi mes explications. Par instants il se redressait, semblait se réveiller, me priait de lui répéter une phrase ou de la compléter par une précision supplémentaire, puis il sombrait à nouveau dans ses réflexions personnelles. Finalement il se leva et jeta le bout de son cigare dans la cheminée.

– Je vais vous avouer quelque chose, mon garçon, me dit-il. Je n’ai jamais été fort en calcul mental, et je le regrette. Vous devriez mettre tout cela sur du papier, et faire votre addition par écrit. Je comprendrai les chiffres quand je les verrai noirs sur blanc…

La proposition n’avait rien de désobligeant. Je promis de m’exécuter.

– Et maintenant il est temps que nous allions nous mettre au lit. Sapristi, déjà une heure !

Le carillon de l’horloge du vestibule avait dominé un instant le vacarme de la tempête.

– Il faut que j’aille voir mon chat avant de monter me coucher. Un grand vent l’énerve. Voulez-vous m’accompagner ?

– Certainement.

– Alors marchez doucement et ne parlez pas, car tout le monde dort.

Nous traversâmes sans bruit le vestibule, puis, à l’extrémité de l’aile, la porte qui ouvrait sur le couloir dallé. Tout était sombre, mais une lanterne d’écurie était suspendue à un crochet ; mon cousin s’en empara et l’alluma. Les barreaux n’étaient pas visibles dans le couloir : la bête se trouvait donc en cage.

– Entrez ! me dit mon cousin en ouvrant la porte.

Un sourd grognement nous avertit que l’animal était effectivement énervé par le mauvais temps. À la lueur vacillante de la lanterne, nous l’aperçûmes. La grosse masse noire était recroquevillée dans un coin de son repaire et projetait une ombre trapue sur le mur blanchi à la chaux ; sa queue battait la paille avec irritation.

– Le pauvre Tommy n’est pas très content, déclara Edward King en levant la lanterne pour le regarder. Il ressemble à un véritable démon noir, n’est-ce pas ? Je vais lui offrir à souper pour le mettre de meilleure humeur. Voudriez~vous me tenir la lanterne un petit moment ?…

Je la lui pris des mains ; il se dirigea vers la porte.

– … Son garde-manger est à côté. Excusez-moi quelques secondes, vous voulez bien ?

Il sortit, et la porte se referma derrière lui avec un cliquetis métallique.

Je tressaillis. Une soudaine vague de terreur m’envahit. L’idée confuse d’une trahison abominable me glaça le sang. Je bondis sur la porte, mais à l’intérieur il n’y avait pas de loquet.

– Hé bien ! criai-je. Faites-moi sortir !

– Ne faites pas tant de chahut ! me répondit mon cousin dans le couloir. Vous avez la lanterne, n’est-ce pas ?

– Oui, mais je n’ai nulle envie d’être enfermé tout seul comme cela.

– Tiens ? Vous n’en avez pas envie ?…

J’entendis son petit rire amusé.

– … Vous ne resterez pas longtemps seul, je vous le promets !

– Laissez-moi sortir, Monsieur ! répétai-je furieux. Je vous assure que je ne suis pas homme à tolérer des plaisanteries pareilles.

– Plaisanteries est tout à fait le mot qui convient ! me répondit-il avec un nouveau petit rire.

Et tout à coup j’entendis, au milieu du vacarme de la tempête, le grincement et le geignement de la manivelle, et le bruit des barreaux qui commençaient à glisser par la fente. Grands dieux, il était en train de lâcher le chat brésilien !

À la lueur de ma lanterne, je vis les barreaux se mettre lentement en marche. Déjà un espace de trente centimètres de large les séparait du mur à l’autre bout. Poussant un cri, je m’agrippai au dernier barreau et je tirai dessus avec la rage d’un dément. (Il est vrai que j’étais devenu fou de fureur et d’horreur). Pendant deux minutes environ, je maintins le barreau immobile. Je savais que mon cousin appuyait de toute sa force sur la manivelle, et que la puissance du levier finirait par vaincre ma résistance. Je ne cédai que centimètre par centimètre ; mon pied glissait sur les dalles, mais je ne cessais de supplier ce monstre inhumain de m’épargner une mort aussi atroce. Je l’adjurais au nom de notre parenté. J’invoquais son hospitalité. Je l’implorais de me dire quel mal j’avais jamais pu lui faire. Ses seules réponses étaient les secousses qu’il imprimait à la manivelle ; or, à chaque secousse, un nouveau barreau disparaissait par la fente. Je me laissai ainsi traîner tout au long de la cage, jusqu’à ce qu’enfin, les poignets meurtris et les doigts ensanglantés, je dusse renoncer à cette lutte inégale. Quand je le lâchai, le mur des barreaux disparut tout d’une pièce. Un instant après, j’entendis les mules rouges s’éloigner dans le couloir ; la porte du fond se referma doucement. Tout alors fut silence.

Pendant ce temps, l’animal n’avait pas bougé. Il était resté étendu sur sa paille ; sa queue avait cessé de battre. Le spectacle d’un homme collé aux barreaux et traîné devant lui l’avait apparemment rempli de stupeur. Je vis ses grands yeux me regarder fixement. J’avais posé à terre la lanterne quand j’avais voulu me cramponner aux barreaux ; comme elle brûlait toujours, je voulus m’en saisir, avec l’idée que sa lumière pourrait me protéger ; mais dès que j’esquissai ce geste, l’animal émit un grondement menaçant. Je m’arrêtai et m’immobilisai, avec l’épouvante dans le cœur. Le chat (en admettant que l’on puisse appeler d’un nom aussi aimable une bête aussi terrifiante) n’était pas à plus de trois mètres de moi. Ses yeux luisaient comme deux disques de phosphore dans l’obscurité. Ils étaient fascinants. Je ne pouvais détacher d’eux les miens. Dans ces moments d’une telle intensité, la nature nous joue des tours étranges : ces lueurs croissaient et décroissaient selon un rythme régulier. Tantôt elles ressemblaient à deux points minuscules d’une luminosité extrême, à des étincelles électriques dans une chambre noire, tantôt elles s’élargissaient et s’agrandissaient jusqu’à ce que tout l’angle qu’il occupait fût rempli de leur lumière funeste. Et puis elles s’éteignirent soudainement.

L’animal avait fermé les yeux. Je ne sais pas ce qu’il y a de vrai dans l’antique idée de la domination du regard humain ; aussi bien le chat brésilien pouvait avoir sommeil. Toujours est-il qu’au lieu de manifester une intention agressive, il posa sa tête noire et lustrée sur ses grosses pattes antérieures, et m’eut tout l’air de vouloir dormir. N’osant pas bouger de peur d’altérer son humeur, au moins je pouvais réfléchir, puisque ces yeux épouvantables ne m’observaient plus. Donc, j’étais enfermé pour la nuit avec ce fauve. Mes instincts personnels se combinaient avec les propos du scélérat qui m’avait pris au piège pour m’avertir que j’avais affaire à un animal aussi féroce que son maître. Comment conjurer ce péril jusqu’au matin ? Du côté de la porte, aucun espoir ; quant aux fenêtres, elles étaient étroites, et munies de barreaux. Nulle part il n’y avait un refuge, un abri dans cette pièce nue. Appeler au secours aurait été absurde : je savais que ce repaire était une dépendance, et que le couloir qui le reliait à l’aile de la maison avait trente ou quarante mètres de long. En outre, avec la tempête qui se déchaînait à l’extérieur, mes cris ne seraient pas audibles. Je ne pouvais me fier qu’à mon courage et à mon astuce.

Hélas, une nouvelle vague de désespoir me submergea ! Dans dix minutes la lanterne allait s’éteindre. Il ne me restait plus que dix minutes pour agir. Je me rendais compte que je serais incapable de me défendre si je demeurais dans les ténèbres en compagnie de ce fauve. Y penser me paralysait. Mes yeux angoissés firent le tour de cette chambre de condamné à mort ; ils se posèrent sur le seul endroit qui ne me promettait pas une sécurité totale, mais où je me trouverais moins exposé que sur le plancher nu.

La cage avait un toit aussi bien qu’une façade ; ce toit était demeuré horizontal quand la façade avait glissé par la fente. Son armature était constituée par des barreaux séparés par quelques centimètres de treillage en fil de fer, et il reposait de chaque côté sur un gros étai. Il ressemblait à un grand dais tendu au-dessus de la silhouette tapie dans l’angle. Entre cette étagère de fer et le plafond il y avait soixante-dix ou quatre-vingts centimètres. Si seulement je parvenais à grimper là et à me coincer entre les barreaux et le plafond, je ne serais plus vulnérable que d’un côté, ma sécurité étant assurée par dessous, par derrière, à la tête et aux pieds. Je ne pourrais être attaqué que par la face libre, sur le devant. Là, il est vrai, je ne bénéficiais d’aucune protection. Du moins ne me trouverais-je pas sur le chemin de l’animal quand il commencerait à tourner dans son repaire. Il lui faudrait rompre avec ses habitudes pour m’atteindre. Mais si je voulais agir, ce devait être maintenant ou jamais, car une fois la lanterne éteinte, je n’en aurais plus la possibilité. Avec une boule d’anxiété dans la gorge, je m’élançai ; je saisis le rebord en fer du toit de la cage, et pantelant je fis un rétablissement pour me hisser au-dessus. En souplesse, je m’étendis sur le ventre, pour m’apercevoir que mon regard tombait droit dans les yeux terrifiants du chat. Il me soufflait son haleine puante dans la figure ; j’avais l’impression de me trouver au-dessus d’une marmite d’immondices.

Il parut, toutefois, plus étonné qu’irrité. Dépliant toute la longueur de son dos noir, il se leva, s’étira et bailla ; après quoi il se dressa sur ses pattes de derrière, appuya une patte antérieure contre le mur et leva l’autre pour faire passer ses griffes entre les fils de fer du treillage qui me supportait. Un crochet blanc, pointu, déchira mon pantalon (j’étais encore en costume de soirée) et creusa un sillon dans mon genou. Ce n’était pas, à proprement parler, une agression, mais plutôt une exploration. En effet, je laissai échapper un petit cri de douleur, et il retomba en arrière sur ses quatre pattes ; sautant avec légèreté, il commença à faire le tour de la pièce, en levant de temps à autre la tête dans ma direction. Je me reculai le plus possible pour coller mon dos contre le mur. Plus je m’éloignerais du bord, plus il lui serait difficile de m’attaquer.

Depuis qu’il avait commencé à s’agiter, il semblait plus nerveux. Il courait rapidement et silencieusement tout autour de la salle, passait et repassait sous mon abri. C’était merveilleux de voir une aussi grosse masse filer comme une ombre sans autre bruit que le léger martèlement mat de ses pattes de velours ! La flamme de la lanterne était presque invisible ; je distinguais à peine l’animal. Et puis, sur une ultime lueur, elle s’éteignit. J’étais seul dans l’obscurité avec la bête.

Quand on sait qu’on a tenté tout le possible et même l’impossible, on affronte mieux un péril : on n’a plus qu’à attendre paisiblement la suite des événements. Dans le cas présent, j’occupais l’unique endroit qui m’assurait une sécurité relative. Je m’allongeai donc et je me laissai bercer par l’espoir que l’animal pourrait oublier ma présence si je ne faisais rien pour la lui rappeler. Je calculai qu’il devait être déjà deux heures du matin. À quatre heures il ferait jour. Deux heures à attendre !

Dehors la tempête faisait encore rage, et la pluie fouettait les petites fenêtres. À l’intérieur, l’atmosphère était fétide. Je ne pouvais ni voir ni entendre le chat. J’essayai de ne plus penser à lui. Une seule chose parvint à me distraire de ma situation terrible : la félonie de mon cousin, son hypocrisie incomparable, la haine maligne qu’il me portait. Sous ce masque poupin, jovial, se dissimulait l’esprit d’un assassin du moyen âge. En y réfléchissant, je voyais plus nettement comment il avait préparé son plan. Ostensiblement, il était monté se coucher en même temps que les autres. Sans doute avait-il des témoins qui l’affirmeraient. Puis, en cachette, il était redescendu, il m’avait attiré dans cet antre et il m’y avait abandonné. Son histoire serait aussi simple : il dirait qu’il m’avait laissé terminer mon cigare dans la salle de billard, que de mon propre chef j’étais allé regarder le chat une dernière fois, que j’étais entré dans la salle sans avoir remarqué que la cage était ouverte, et que j’avais été dévoré. Comment un crime pareil pouvait-il lui être imputé ? On le soupçonnerait, peut-être ; mais quelle preuve l’accuserait ? Aucune !

Comme ces deux heures passaient lentement ! Une fois j’entendis un bruit de râpe ; je supposai que l’animal se léchait les poils. À plusieurs reprises ses yeux verdâtres se tournèrent dans ma direction, mais jamais pour me regarder fixement. Je commençais à espérer vraiment qu’il m’avait oublié ou qu’il voulait m’ignorer. Enfin, la première lueur de l’aube filtra par les fenêtres. Je vis d’abord deux carrés gris sur le mur noir, puis le gris devint blanc ; alors je distinguai à nouveau mon terrible compagnon. Mais lui aussi, hélas, pouvait me repérer !

Tout de suite je devinai que son humeur était beaucoup plus agressive, beaucoup plus dangereuse. Le froid du matin l’avait irrité, et il devait avoir faim. Grondant sans arrêt il arpentait le côté de la pièce qui me faisait face et qui était le plus éloigné de mon abri. Il avait les moustaches hérissées, sa queue se balançait furieusement. Quand il pivotait aux angles, ses yeux féroces se levaient vers moi ; j’y lisais clairement la plus terrible des menaces ; je savais qu’il voulait ma mort. Et pourtant, même à ce moment, je ne pouvais m’empêcher d’admirer la grâce ondoyante de cette créature démoniaque, ses mouvements longs et souples, le lustre de ses flancs, la palpitation de la langue rouge qui pendait de son museau noir. Il grondait de plus en plus fort. Je m’attendais d’une minute à l’autre à son assaut.

L’heure était bien triste pour mourir ainsi ! J’avais froid, je grelottais dans mon costume du soir, j’étais désespérément mal sur mon gril de torture. Je m’efforçais d’élever mon âme au-dessus du sort qui m’attendait, mais en même temps, avec la lucidité qui est l’apanage de l’homme prêt à tout, je cherchais du regard si rien ne pouvait me permettre de lui échapper. Il m’apparut, alors, que si l’armature de barreaux constituant la façade de la cage revenait se placer comme elle l’était avant que mon cousin eût actionné la manivelle, je pourrais moi-même me mettre dans la cage et trouver refuge derrière les barreaux. Mais comment tirer les barreaux sans éveiller l’attention de l’animal ? Et même, pourrais-je les faire glisser sans le concours de la manivelle extérieure ? Lentement, très lentement, j’avançai une main et je la posai sur le dernier barreau qui n’était pas rentré dans le mur. J’eus la bonne surprise de constater que l’armature de barreaux obéissait facilement à ma traction. Certes, il ne m’était pas commode de la tirer, puisque je m’y accrochais. Néanmoins j’opérai par petites tractions : dix centimètres de la façade de la cage sortirent du mur. Elle devait être montée sur roulettes. Je tirai encore… Et brusquement le chat bondit.

Ce bond fut si rapide, si soudain, que réellement je ne le vis pas. J’entendis uniquement un grondement sauvage et, dans la seconde suivante, les yeux jaunes étincelants, la tête noire aplatie avec sa langue rouge et ses dents blanches, se trouvèrent à portée de ma main. Le choc secoua le treillage sur lequel j’étais étendu ; je crus qu’il allait s’effondrer. Suspendu au rebord par les pattes antérieures, le chat commença par se balancer ; son museau et ses griffes me touchaient presque ; ses pattes postérieures griffaient le treillage pour trouver une prise. Son haleine me donnait la nausée. Mais il avait mal calculé son saut et il ne put pas exécuter son rétablissement. Grimaçant de rage, mordant follement les barreaux, il se balança en arrière avant de retomber lourdement sur le plancher. En grondant, il se retourna aussitôt et se ramassa pour bondir une deuxième fois.

Je savais que mon sort se jouerait dans les prochaines secondes. Une première expérience avait renseigné l’animal. Il ne se tromperait pas pour la deuxième. Il fallait que j’agisse rapidement, témérairement au besoin, si je voulais avoir une chance de survivre. J’eus une idée : je retirai mon veston et je le jetai sur la tête de la bête. En même temps je me laissai tomber par-dessus le bord, empoignai l’armature des barreaux de façade et la tirai de toutes mes forces vers l’intérieur.

Elle glissa plus facilement que je l’aurais cru. Je traversai toute la largeur de la pièce en l’entraînant derrière moi. Mais fatale erreur, je m’étais placé à l’extérieur des barreaux ! Si je m’étais trouvé à l’intérieur, je m’en serais tiré sans dommage. Toujours est-il que je dus m’arrêter un instant pour me faufiler dans l’ouverture que j’avais laissée libre entre le mur et les barreaux. Cet instant suffit à l’animal pour se libérer du veston avec lequel je l’avais encapuchonné, et pour bondir. Je me jetai dans l’ouverture et je poussai les barreaux ; mais avant que j’eusse pu les amener complètement jusqu’à l’autre mur, le chat brésilien m’attrapa une jambe. Un coup de son énorme patte déchira cruellement mon mollet. Ensanglanté, épuisé par l’émotion, je me laissai tomber sur la paille immonde ; une rangée de barreaux bien sympathiques me séparait du fauve qui, frénétiquement, multipliait contre eux de vains assauts.

Trop endolori pour bouger, trop faible pour éprouver de la peur, je ne pouvais que rester étendu, plus mort que vif, et surveiller mon ennemi. Il pressait les barreaux de son large poitrail noir, et essayait de me pêcher avec ses pattes en crochet, comme font les petits chats devant une souricière. Il grattait mes vêtements, mais il était incapable de me toucher. J’avais entendu parler du curieux effet d’engourdissement que provoquent les blessures infligées par de grands carnivores ; j’allais vérifier cette théorie ; en effet, je perdais graduellement tout sens de la personnalité, et je suivais les tentatives du chat comme si je n’étais pas la proie qu’il guettait. Et puis, mon esprit délira peu à peu dans des rêves confus où revenaient constamment cette tête noire et sa langue rouge. Finalement je sombrai dans le nirvana du délire, ce soulagement béni que la nature procure à ceux qu’elle soumet à une trop rude épreuve.

Repassant ultérieurement le cours des événements dans ma tête, je suis arrivé à la conclusion que j’ai dû demeurer évanoui pendant deux heures. Ce qui me tira du coma fut le cliquetis métallique de la serrure par lequel avait débuté mon aventure. Avant que je fusse suffisamment réveillé pour avoir une perception nette des choses, j’aperçus le visage rond et bienveillant de mon cousin qui regardait par la porte ouverte. Le spectacle qu’il eut sous les yeux dut évidemment le surprendre. Le chat était allongé par terre, tandis que moi, j’étais dans la cage couché sur le dos, en bras de chemise, le pantalon en lambeaux, et baignant dans une mare de sang. Je revois encore son air stupéfait, car il était bien éclairé par la lumière du soleil. Il regarda de mon côté. À plusieurs reprises. Puis il ferma la porte derrière lui, et il avança vers la cage pour voir si j’étais bien mort.

Je ne saurais dire exactement ce qui advint. Je n’étais pas en état de servir de témoin. Je peux certifier simplement que je me rendis compte qu’il me tournait le dos pour faire face à l’animal.

– Mon bon Tommy ! s’écria-t-il. Brave vieux Tommy !…

Il se rapprocha de la cage à reculons.

– … Bas les pattes, stupide animal ! gronda-t-il. Couchez, Monsieur ! Ne reconnaissez-vous plus votre maître ?…

Et alors, dans mon esprit brumeux, un souvenir s’éveilla. Il m’avait dit que le goût du sang transformerait ce chat en démon. Mon sang avait coulé. Il allait en payer le prix.

– … Allez-vous-en ! hurla-t-il. Allez-vous-en, démon ! Baldwin ! Baldwin ! Oh, mon Dieu !

Je l’entendis tomber, se relever, tomber encore. J’entendis aussi comme le bruit d’une toile que l’on déchire. Ses hurlements faiblirent, s’étranglèrent, s’éteignirent dans le grondement féroce du chat. Je croyais qu’il était mort. Mais je vis comme dans un cauchemar, une forme humaine défigurée, déguenillée, dégouttant de sang, courir follement tout autour de la pièce. Telle fut la dernière image que j’emportai de lui avant de m’évanouir à nouveau.

Je mis plusieurs mois à me rétablir. En fait, je ne peux pas dire que je suis rétabli, car je devrai marcher avec une canne jusqu’à la fin de mes jours, en souvenir de ma nuit avec le chat brésilien. Baldwin, le groom, et les autres domestiques furent incapables d’expliquer ce qui était arrivé, quand attirés par les cris d’agonie de leur maître, ils m’avaient trouvé derrière les barreaux, tandis que les restes de mon cousin (ce ne fut que plus tard qu’ils découvrirent que c’était ses restes) gisaient sous les griffes du fauve qu’il avait élevé. Ils acculèrent le chat dans un angle avec des barres de fer rougies à blanc, puis ils l’abattirent par le guichet de la porte ; ce n’est qu’ensuite qu’ils purent m’extraire de la cage. Je fus transporté dans ma chambre et là, sous le toit de celui qui aurait bien voulu être mon assassin, je demeurai plusieurs semaines entre la vie et la mort. Soigné par un médecin de Clipton et une infirmière de Londres, je pus être ramené à Grosvenor Mansions au bout d’un mois.

De cette maladie je garde une image qui participe peut-être du délire où se débattait mon cerveau. Un soir, pendant que l’infirmière était absente, la porte de ma chambre s’ouvrit : une femme de grande taille et en vêtements de deuil se glissa chez moi. Quand elle pencha au-dessus de mon lit son visage jaunâtre, je la reconnus : c’était la Brésilienne que mon cousin avait épousée. Elle me regarda avec une physionomie fort aimable.

– Avez-vous toute votre connaissance ?… me demanda-t-elle.

Je répondis par un léger signe de tête, car j’étais encore très faible.

– … Hé bien, je voulais seulement vous faire admettre que ce qui vous est arrivé est de votre faute. N’ai-je pas fait tout ce que je pouvais pour vous ? Depuis le début, je me suis efforcée de vous faire partir. Par tous les moyens au risque de trahir mon mari, j’ai essayé de vous sauver. Je savais qu’il avait un motif puissant pour vous faire venir aux Greylands. Je savais qu’il ne vous laisserait jamais repartir. Personne ne le connaissait mieux que moi, qui ai tant souffert à cause de lui. Je n’osais pas vous le dire. Il m’aurait tuée. Mais j’ai agi de mon mieux. Étant donné la tournure prise par les événements, vous avez été le meilleur ami que j’aie jamais eu. Vous m’avez rendu la liberté ; je croyais que seule la mort me libérerait. Je regrette que vous soyez blessé, mais je ne peux m’adresser aucun reproche. Je vous ai traité d’idiot. Vous vous êtes effectivement conduit comme un idiot !

Sur ce, cette femme bizarre, acide, sortit de ma chambre. Je ne devais plus jamais la revoir. Avec ce qu’elle retira des biens de son mari, elle regagna son pays natal ; j’appris par la suite qu’elle avait pris le voile à Pernambouc.

Quelque temps après mon retour à Londres, les médecins m’autorisèrent à reprendre le cours de mes affaires. Permission qui ne me plut guère, car je redoutais qu’elle ne précédât une ruée de mes créanciers. Mais la première visite que je reçus fut celle de Summers, mon notaire.

– Je suis très heureux de constater que Votre Seigneurie se porte beaucoup mieux ! me dit-il en guise d’exorde. J’ai attendu longtemps avant de vous présenter mes compliments.

– Que voulez-vous dire, Summers ? Ce n’est pas l’heure de plaisanter, croyez-moi !

– Je voulais dire exactement ce que j’ai dit. Depuis six semaines vous êtes Lord Southerton ; mais nous avions peur que la nouvelle compromît votre rétablissement.

Lord Southerton ! L’un des pairs les plus riches d’Angleterre ! Je ne pouvais en croire mes oreilles. Et puis, tout à coup, je réfléchis au laps de temps qui s’était écoulé, depuis son décès.

– Lord Southerton serait donc mort à peu près à l’époque de mon accident ?

– Il est mort le même jour…

Summers me regarda fixement. Très perspicace, il avait certainement deviné la véritable nature de mon « accident ». Il s’arrêta un moment, comme s’il attendait de moi une confidence, mais je ne voyais pas ce que je gagnerais à ébruiter un scandale de famille.

– … Oui, c’est une coïncidence étrange ! reprit-il avec le même regard pénétrant. Vous savez naturellement que votre cousin Edward King venait immédiatement après vous dans l’ordre de la succession. Si donc vous aviez été dévoré à sa place par ce tigre ou je ne sais quelle bête féroce, ce serait lui qui serait aujourd’hui Lord Southerton, et pas vous.

– Sans aucun doute !

– Cette perspective l’avait sans doute grandement intéressé, ajouta Summers. J’ai appris par hasard que le valet de feu Lord Southerton était à sa solde, et qu’il lui envoyait régulièrement des télégrammes plusieurs fois par jour pour le tenir au courant de l’état de santé du malade. Cela se passait à l’époque où vous vous trouviez aux Greylands. N’était-il pas bizarre qu’il souhaitât tellement être informé, puisqu’il savait qu’il n’était pas l’héritier direct ?

– Très bizarre ! répondis-je. Et maintenant, Summers, si vous aviez la bonté de m’apporter mes factures et un nouveau carnet de chèques, nous pourrions commencer à mettre un peu d’ordre dans mes affaires.